Extrait : Françoise Piponnier et Perrine Mane. Se vêtir au moyen âge. Paris, Biro, 1995
Tout au long du moyen Âge, les étoffes de laine tiennent la première place. Sur les épaules du prince, sur celle du paysan, leur qualité et donc leur aspect offrent assurément des différences considérables. De plus leur apparence est, d’une manière ou d’une autre, modifiée par le progrès techniques largement diffusés par la nouvelle organisation de la production et le dynamisme que connaît le commerce des lainages.
Laine et couleurs
Peu abondantes sont les informations concernant les étoffes du haut Moyen Âge et des temps carolingiens, fondées principalement sur l’étude des fragments trouvés au cours d’exploration archéologiques réalisées surtout en Europe septentrionale et orientale. Ces trouvailles permettent aux spécialistes de conclure que les tisserands utilisent alors des métiers dressés verticalement, la chaîne et donc l’étoffe en cours de fabrication se présentant de face. Si ce procédé ne permet d’obtenir que des pièces de longueur limitée, il n’interdit pas la réalisation de combinaisons complexes ; les étoffes de cette période se caractérisent en particulier par des motifs de losanges ou de chevrons. En raison de la pauvreté des documents, l’organisation et les procédés de la production sont mal connus. Des ateliers regroupant des femmes habilles à ces activités de transformation semblent avoir été installés sur les grands domaines des états occidentaux, qui tirent profit des troupeaux élevés dans l’intervalle des espaces cultivés.
Boccace : Des cleres et nobles femmes. New York, public library, Coll. Spencer 33,. 56, enluminé e nFrance vers 1470. Femme travaillant la laine.
Des documents commerciaux plus tardifs attestent les distinctions établies par les marchands entre les diverses qualités de laine, qui entraînent des variations de prix considérables et des destinations différentes. Les analyses de fibres anciennes ont permis de préciser la diversité des laines utilisées et donc des espèces de mouton élevés. Si l’on continue à mettre en œuvre, dans les lainages les plus grossiers, les toisons provenant d’un type de mouton connu déjà depuis l’Âge du fer, d’autres étoffes offrent la possibilité de suivre la progression de fibre de qualité supérieure, à la fois longues et assez fines. Le climat frais et humide de l’Angleterre est souvent invoqué pour expliquer la qualité de ses laines, fournies par des moutons élevés sur des pâturages abondants en toutes saisons et lavés par des averses fréquentes. Sans doute aussi le savoir-faire des bergers a-t-il joué un rôle décisif pour sélectionner empiriquement les reproducteurs et trier les toisons, faisant ainsi la renommée des laines anglaises, en particulier de celle qui sont commercialisées par les grandes abbayes cisterciennes des comtés septentrionaux. Longtemps moins appréciés l’élevage des régions méditerranéennes est stimulé par cette concurrence, et aussi par le tarissement de l’approvisionnement des principaux centres continentaux en laine d’Angleterre quand le tissage local se fut développé. On peut repérer en tout cas, dès le XVe siècle, dans les domaines dépendant de la couronne d’Aragon, une production de fibres particulièrement fines, analogues à celles qui, par la suite, ont fait la réputation de la race mérinos.
Le grand bouleversement qu’apporte dans les techniques de tissage l’introduction du métier à chaîne horizontale se produit à une époque où l’écrit, encore rare, ne se préoccupe guère de transmettre des informations d’ordre technique ou économique. Les spécialistes s’accordent cependant à date du XIe siècle et à situer dans l’ouest du continent européen cette innovation considérée comme la plus importante survenue dans le domaine textile durant le Moyen Âge. C’est aussi dans le même secteur géographique et vers la même époque qu’apparaissent les premières mentions de l’écarlate, ce drap de luxe caractérisé par les finitions les plus élaborées : foulage, chardonnage, tonte, destinées à lui donner un aspect à la fois feutré et velouté, et surtout par l’application de la teinture la plus coûteuse, extraite d’un insecte méditerranéen, appelé, « graine » ou « graine de kermès ». Avec leur couleur intense, dans la gamme des rouges, les écarlates jouissent pendant plusieurs siècles du même prestige que la pourpre antique et restent réservées à un petit nombre. Les villes dans lesquelles se sont concentrées la préparation et le tissage de la laine lancent dans les circuits commerciaux, foires et marchés, une masse croissante de draps d’usage plus courant. Les règlements imposés par les autorités urbaines aux gens de métier, pour les obliger à maintenir leur production à niveau de qualité constant, n’ont été rédigés que plus tard, mais on peut supposer que les procédés qu’ils décrivent ont été mis au point à partir de pratiques séculaires. Pour les meilleurs draps, le tri et le nettoyage soigné de la laine sont suivis par le peignage, destiné à sélectionner les fibres les plus longues. Jusqu’au XVe siècle, le filage manuel « à la quenouille » est longtemps préféré au filage au rouet. Le métier à drap horizontal, actionné par deux tisserands, permet d'obtenir des pièces d’étoffe atteignant couramment une trentaine de mètres de longueur pour un lé large d'environ deux mètres. Le foulage par des artisans qui piétinent le drap dans des cuves pleines d'eau chaude additionnée de substances favorisant le rétrécissement et le feutrage du tissu est relayé progressivement par des machines ; des moulins ou battoirs actionnés par l'énergie hydraulique se multiplient, le foulage au pied restant réservé aux étoffes de qualité supérieure que cette opération ramène à une largeur plus réduite, aux alentours d'un mètre et demi.
Parmi les finitions ultérieures qui donnent leur aspect définitif aux draps, la teinture joue un rôle de première importance. Extrêmement coûteux, le kermès grâce auquel on peut obtenir une vaste gamme de couleurs, dont la « sanguine », a souvent la préférence ; il est réservé à une production de luxe commercialisée jusqu’aux rivages orientaux et méridionaux de la Méditerranée. Le pastel, moins onéreux car il provient d’une plante cultivable dans de nombreuses régions, permet de teindre en bleu ou, combiné à d’autres colorants, en vert. D’utilisation commode puisqu’il n’exige pas l’emploi préalable d’un autre produit comme « mordant » et peut être employé pour teindre la laine en toison ou en fil, il donne, selon la concentration de la teinture, des bleus saturés ou des teintes plus pâmes. Même si les nuances les plus riches restent réservées à un petit nombre, cette évolution met les draps de couleur à la portée des catégories sociales sans cesse plus nombreuses. Déjà répandus parmi les citadins au XIIIe siècle, les vêtements bleus se diffusent dans les campagnes au XIVe ; même les paysannes modestes possèdent alors une robe de couleur, atténuée sans doute par un long usage ou par la qualité médiocre des bains de teinture réservés à leurs lainages bon marché. Mais dès cette époque la paysannerie aisée goûte à une gamme de nuances plus variée. L’art de la teinture connaît un grand développement au cours des derniers siècles du Moyen Âge ; bien d’autres colorants sont utilisés, végétaux, animaux, minéraux, indigène ou importés. Les couleurs se diversifient, atteignent une saturation plus élevée qui permet la diffusion des couleurs sombres fort appréciées à la fin du Moyen Âge : verts ou bleus foncés, violets et surtout noir.
A travers les textes, ce sont les étoffes de qualité supérieure qui apparaissent le plus fréquemment.
Barthélémy l'Anglais : Livre des propriétés des choses. Londres, British Library, Royal 15E III, f. 269, enluminé à Lille vers 1482.
Teinture des draps de laine : le kermès, très coûteux
Les règlements de métier s’attachent plus volontiers à décrire les étapes de leur fabrication plutôt que celles des lainages de petit prix et les documents commerciaux enregistrent surtout des transactions portant sur des étoffes de valeur. Avant les derniers siècle du Moyen Âge, rares sont les descriptions de stocks de marchands, les testaments et inventaires de petites gens montrant la place que tiennent, dans la consommation courante, les étoffes de qualité médiocre. Même si l’on ne peut jamais être sûr de comparer des étoffes de même largeur, la gamme très ouverte de prix laisse deviner de grande différence de qualité entre les écarlates et les autres draps de couleur, mais également entre ces derniers.
Rogier Van Der Weyden : Sainte Marie-Madeleine lisant (détail). Londres, National Gallery, 1435-1440.
Marie-Madeleine est v^étue d'une robe taillée dans un drap de laine vert doublé de fourrure grise portée sur une cotte de soie façonnée. sa tête est couverte d'un voile de toile.
Une autre catégorie d’étoffe de laine, le sergé, qui présente un léger relief en diagonal, connaît pendant toute la période une large utilisation. Les textiles retrouvés en fouille attestent aussi la diversité des qualités obtenues par ce mode de tissage, depuis les étoffes grossières, épaisses, qui devaient vêtir les classes populaires, jusqu'à certains tissus délicats capables de rivaliser avec les soies par leur finesse. Camelins ,tiretaines et, tout en bas de la gamme des prix, « beiges » et « burels » sont des étoffes de qualité médiocre qui parfois peut-être ne sont pas tissés de pure laine. Ils figurent en quantités importantes chez les marchands spécialisés dans les produits les plus ordinaires et certains centres secondaires se sont fait une spécialité de leur fabrication. Aucun indice n’apparaît dans nos documents d’une fabrication à usage domestique et si le tissage de la laine se développe dans les campagnes au XVe siècle, c’est toujours sous l’impulsion d’entrepreneurs urbains en quête d’une main d’œuvre bon marché pour fabriquer des étoffes de moindre prix. La Laine filée connait divers emplois vestimentaires sous d’autres formes que l’étoffe. Deux technique de tricotage sont attestées : à une seule aiguille, méthode qui se rapproche de celle du filet, et aussi à deux ou plusieurs aiguilles. Des pièces vestimentaires réalisées « à l’aiguille » sont vendues chez les merciers, chaussettes et chausson pour enfants, bonnet de nuit. Mais c’est surtout pour confectionner les bonnets et chapeaux de feutre très populaires à partir du XVè siècle dans la vêture masculine, que cette technique se développe. Bien peu de vêtements tricotés en laine sont parvenus jusqu’à nous ; ils étaient sans doute portés le plus souvent jusqu’à l’usure complète. C’est surtout grâce aux chausses set gants liturgiques en soie, conservés avec soin dans les trésors des églises ou des cathédrales, que l’on a pu connaître les techniques de tricotage utilisées au Moyen Âge.