Le faste matrimoniale
Les noces royales s'accompagnaient de l'échange de cadeaux précieux : joyaux, pièces d'orfèvrerie, draps d'or et livres étaient offert par le père de la mariée, comme partie ou en sus de la dot. Ces trousseaux étaient de grande valeur : en 1352, pour les noces de Jeanne, fille de Jean II, avec Charles , roi de Navarre, on acheta robes, fourrures, vaisselles et coffres pour un total de plus de 7 000livres parisis. [72] une jolie lettre signée d'Isabeau de Bavière, écrite le 27 avril 1405, atteste aussi de l'importance des biens fournis à sa fille, Jeanne, à l'occasion de son mariage avec Jean V, duc de Bretagne. En sus de la dote de 150 000 francs donnée à la nouvelle duchesse, la reine lui fit bailler « joyaulx d'or et d'argent, les uns garinz de pierrerie les autres sanz pierrerie, veiselle d'or et d'argent, robe et habiz pour son coprs tant ouvrees de broderie comme autres, chambres, tappisseries, ligne, chevaux, chars, harnoiz et autres choses [73] »
Partie intégrante du faste matrimonial, la robe de la mariée était réalisée dans des draps tissés d'or, parfois agrémentés de perles et de pierres précieuses. Cependant il n'existait pas encore de robe spécifique, « à la royale » – Surcot d'hermine et grand manteau bleu –, comme ce sera le cas à partir du milieu du XVIème siècle [74]. Mes reines de Maisons étrangères pouvaient se vêtir des robes traditionnelles de leur pays natal [75]. Pour sa première rencontre avec Charles VI, l'apparence d'Isabeau de Bavière, jugée trop simple fut toutefois modifiée. La duchesse de Hainaut la revêtit « a la mode de France » d'une robe en soie brodée d'or [76].
Pour ces célébrations l’assistance était de choix, prélats, princes de sang grands nobles, princesses et dames de la Cour. Pour le Mariage à Amiens de Charles VI et d'Isabeau de Bavière en 1385 étaient ainsi présent Philippe le Hardi, Duc de Bourgogne, Jean de Bourgogne, le duc Albert de Bavière, Frédéric de Bavière, oncle de la mariée, Guillaume, Duc de Hainaut, et son épouse Marguerite, duchesse de Brabant, et plusieurs barons, chevaliers et nobles dames [77] Les festivités se déclinaient sous forme de banquets, de bals et de tournois. En 1302, le mariage d'Isabelle, fille de Philippe IV et d’Édouard II fut l'occasion de célébrations réunissant les barons français et anglais à Boulogne-sur-Mer. Tous s'affrontèrent lors d'un grand tournoi « et la out mainte lance/Briseë au tornouement [78] »
Néanmoins, tous les mariages royaux ne brillaient pas par leur faste. Ceux célébrés dans la première moitié du XIVème siècle furent plutôt discrets : les noces de Louis X et de Clémence de Hongrie attirèrent ainsi l'attention des chroniqueurs par leur brièveté et l'absence de réjouissances. Officiellement, ce fut en raison de la hâte du roi de se rendre en Flandre. Surtout, il s'agissait d'un remariage qui suivait le scandale provoqué par l'adultère de la première épouse de Louis X, Marguerite de Bourgogne. Les chroniqueurs s'attardèrent peu également sur les noces de Philippe VI et de Blanche de Navarre. Mariages royaux "au plus proche", entre cousins, et trop rapides remariage ne les encourageaient pas à vanter les fastes des noces de France [79].
Au-delà de ces contingences, les mariages ne firent jamais partie des grande cérémonies "politiques" qui se développèrent sous la monarchie des Valois. Si les entrées ou funérailles se déployaient dans l'espace public, les noces royales étaient plutôt célébrées dans la chapelle palatine, au sein de la seule société de cour, parfois dans la plus totale discrétion. En 1491 encore, l'union de Charles VIII et d'Anne de Bretagne fut célébrée à Langeais dans une grande salle du château, en présence de seigneurs bretons et de princes du sang comme Louis II d'Orléans et Pierre de Bourbon, mais les ambassadeurs s'étonnèrent du manque de faste [80]. Rien à voir avec exubérance bourguignonne : le mariage de Charles le Téméraire et de Marguerite d'York, célébré à Bruges le dimanche 3 Juillet 1468, marqua tous les esprits. Les cérémonies qui suivirent les noces durèrent neuf jours, avec entrée de la duchesse à Bruges, banquets, fêtes et joutes. Cela n'est pas spécifique aux seuls mariages. AU XVème siècle, la cour de Bourgogne était la plus brillante, la plus inventive, la plus visible aussi, magnifiée par de grands chroniqueurs et historiographes, comme Olivier de la Marche [81]. Face à elle celle de France faisait bien pâle figure. Charles VII; soit par tempérament, soit par manque de ressources (alors orientées vers la guerre), soit par volonté de se démarquer de la Bourgogne, disposa d'une cour assez modeste, longtemps éloignée, par les circonstances politiques, de Paris, cœur du royaume et grand pôle curial ; le repli, loin de la capitale, dans le Val de Loire, n'est d'ailleurs sans doute pas étranger, au début tout au moins, à cette discrétion. De la même façon, Louis XI, dont les ressources financières étaient pourtant considérable, se tint volontairement éloignée des grands déploiements cérémoniels de la société de cours [82]. IL fallut attendre le milieu du XVIème siècle pour que les mariages royaux redeviennent de grandes fêtes auliques.
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Chapitre II ÉPOUSER LA MONARCHIE : LE SACRE DE LA REINE
C'est bien le mariage qui fait la reine – et mes chartes et autres documents politiques lui donnent aussitôt ce titre. Pourtant, un cérémonie reste longtemps constitutive de son pouvoir, celle du sacre. Loin d'être une invention des XIVème et XVème siècles, l'onction réginale remonte à une lointaine antiquité puisque la première princesse à en bénéficier fut Ermentrude, épouse de Charles le Chauve, au IXème siècle, un siècle donc après le premier sacre royal (Pépin le Bref en 751). La sacralité des rois des France n'est pas inhérente à leur personnes, comme en Égypte ancienne où le pharaon était un dieu sur terre. Elle leur est donnée par l'onction, une onction particulière, réalisée avec la sainte ampoule d'origine divine [1] Rite à la charnière entre religieux et politique, le sacre inaugure le règne du souverain et fonde la légitimité de la succession royale et du pouvoir. Il manifeste aussi son élection par Dieu et lui donne un pouvoir thaumaturgique : aussitôt après la cérémonie, il va toucher les écrouelles des malades qui attendent d'être guéris par lui [2]. La souveraine qui n'est pas sacrée avec le saint chrême, n'a pas le même pouvoir miraculeux. Son onction lui offre cependant un statut particulier.
LE CORPS EN MAJESTÉ : LE COURONNEMENT DE JEANNE DE BOURBON
Le rituel du couronnement des reines de France est bien connu grâce aux ordines, ces ouvrage liturgiques composés de prières, d'hymnes et d'antiennes, qui, après avoir décrit la cérémonie réservée aux rois, consacrent quelques pages à son épouse. saint Louis attacha une grande importance au sacre royal : deux ordines furent rédigés sous son règne, l'un dans les années 1260, l'autre vers 1270 – dénommé le "dernier ordo capétien". Il servit pour les sacre suivants en particulier pour celui de la reine Jeanne d’Évreux en 1326 [3].
Un siècle plus tard (1365), Charles V fit composer un nouvel ordo, richement enluminé, qui commémorait le sacre du roi et de son épouse, Jeanne de Bourbon, célébré l'année précédente, le 19 mai 1364 [4]. Il comprenait plusieurs additions liturgiques importantes, tant pour le roi (avec une insistance presque obsédante sur l'origine divine de la monarchie, sa victoire sur ses ennemis et la paix du royaume) que pour la reine, incorporant des prières destinées à favoriser sa fécondité – rappelons que les deux époux n'avaient pas encore d'héritier [5]. Il peut être utilement complété par le commentaire politique et symbolique du carme Jean Golein, qui rédigea, à la demande de Charles V, un traité du sacre (vers 1372) [6].
Dans les ordines, le couronnement de la reine est décrit conjointement à celui du roi. Souvent déjà mariés lors de leur accession au trône, les deux époux étaient sacrés lors de la même cérémonie [7]. Elle avait lieu traditionnellement un dimanche, à Reims, ville du baptême de Clovis. La cathédrale était décorée pour l'occasion, couverte de tapisseries, de tentures et de tapis. Au centre des regards se trouvait l'autel où étaient déposés les insignes royaux et où les deux époux étaient oints, au plus près du mystère divin. La consécration de la reine ne début qu'après celle du roi, lorsque tous les moments importants du cérémonial monarchique étaient achevés (serments, "adoubement" du "roi chevalier [8]", onction, couronnement et intronisation). Pour en comprendre le déroulement, arrêtons-nous quelques instants sur les magnifiques enluminures ornant l'ordo de Charles V : neufs sont consacrées à Jeanne de Bourbon (onze à l'origine, en pleine page ou dans les lettrines), série exceptionnelle témoignant, s'il en était besoin, de l'importance accordée au sacre de la reine [9]. Nous sommes à Reims, le dimanche de la trinité (19 mai) 1364. Comme ses devancières, Jeanne se présenta les cheveux détachés (alors qu'au quotidien, les femmes portaient des coiffes), symbole de virginité (la Vierge est ainsi représentée) et de de fécondité. Elle est vêtue d'une robe, d'une tunique et d'une chemise fermée par un lacet jusqu'à la poitrine ce qui facilite l'ouverture pour l'onction. L'ensemble est en soie rouge, couleur royale (cf figure suivante).
Elle pénètre dans la cathédrale non par la porte principale comme le roi, mais par un portail latéral, entourée d'un cortège composé de deux évêques, de deux princesses qui l'accompagne devant le prélat consécrateur, l'archevêque de Reims Jean de Craon. Celui-ci la bénit puis récite des prières en son honneur. C'est alors qu'a lieu le rite de l'onction, faite sur la tête, la poitrine avec une huile sanctifiée, offrant un renouveau spirituel à l'impétrante.
La remise des regalia est tout aussi essentielle. L'archevêque passe tout d'abord l'anneau au doigt de Jeanne de Bourbon, symbole traditionnel de la foi chrétienne, qui donne donne à la reine des devoirs envers l’Église. Puis il lui remet le sceptre et la verge qui représentent l'autorité temporelle royale. Le sceptre est celui dit de "Dagobert" dont le sommet se compose d'un homme assis sur un aigle posé sur un globe. La verge, plus courte, est appelée "sceptre à la rose" car elle porte au sommet une rose héraldique en or. Elle donnerait à la souveraine des responsabilités spirituelles et charitables là où le roi a une fonction judiciaire que figure la main de justice. Méfions-nous cependant des interprétations symboliques attribuées à tel ou tel objet. En 1483, lors des funérailles de Charlotte de Savoie, l’effigie de la reine tenait un sceptre et une main de justice, bien qu'elle n'ai jamais disposé d'un quelconque pouvoir judiciaire [11]. La souveraine étant associée au roi par son mariage et son sacre, elle recevait les insignes de cette autorité sans avoir l'effectivité de son exercice [12].
Dernière étape, Jeanne de Bourbon, agenouillée est couronnée par l'archevêque, entourée d'ecclésiastiques et de barons, dont l'un est une femme, la comtesse d'Artois, pair de France. Elle est enfin "intronisée" c'est-à-dire amenée jusqu'à son trône, disposée à côté de celui du roi – légèrement en contre bas – et surélevé par une estrade, assurant au couple une domination verticale : c'est la première ostension de la majesté royale et la reine y participe.
La couronne utilisée pour la cérémonie était exceptionnelle. Il existait en réalité plusieurs série de couronnes. Celles des sacres, imposantes et précieuses,, étaient conservées à l'abbaye de Saint-Denis avec les autres regalia. Aujourd'hui disparues, elles sont bien connues par des dessins et de gravures. Selon leur préférence et les circonstances politiques, les rois choisissaient celle de Saint Louis ou celle dite de Charlemagne. La première daterait de la première moitié du XIIIème siècle. C'était une couronne reliquaire, où étaient enchâssées des épines de la couronne du Christ et des cheveux du Sauveur. Celle de Charlemagne, cercle d'or surmonté des fleurs de lys très échancrée et incrusté de pierres précieuses, daterait de la seconde moitié du XIIIème siècle. Elle fut largement utilisée pour les sacre des monarques au bas Moyen Âge. La couronne de la reine était identiques mais plus légère [14]. Il semble que la couronne d'or à huit fleurons léguée par Jeanne d’Évreux à l'abbaye de Saint-Denis (1343) ait été employée pour les derniers sacres médiévaux, mais les sources sont peu disertes sur la question, d'autant qu'il existait plusieurs couronnes précieuses susceptibles d'être utilisées [15]. Comme son époux, la souveraine possédait de multiples cercles, diadèmes et couronnes, qui servaient, au gré des besoins, pour les diverses cérémonie curiales – "festin de sacre", entrées, réceptions d'ambassadeurs. La cérémonie se clôt par la célébration d'une messe solennelle. Les rites sont effectués en commun par le couple royal : offertoire (offrande de pain, de vin et de pièces d'or), baiser de paix, et communion sous les deux espèces : après le roi, la reine, agenouillée, reçoit l'hostie et le vin contenu dans le calice de Saint-Rémi [16]
Références:
La Reine au Moyen âge, le pouvoir au féminin XIVè-XVè siècle, Murielle Gaude-Ferragu, Edition Talllandier, 2014